Dossier PSY

Article posté le Wednesday 26 February 2014

L’autocompassion : du juge intérieur au soutien inconditionnel

Arrêter de se faire des reproches, apprendre à se regarder avec bienveillance et à se soutenir dans les moments difficiles.

Abriteriez-vous en vous-même un petit juge intérieur ? Assis sur votre épaule, il ne cesse de vous abreuver de critiques ou de reproches. Il condamne vos faits et gestes, regarde d’un air suspicieux votre reflet dans le miroir. Il fustige la moindre de vos erreurs en soulignant vos manques et vos lacunes. Il agite devant vous l’image d’un moi idéal paré de toutes les qualités. Confus et honteux, vous traversez la vie accablé par le poids de votre insuffisance et avez du mal à cultiver une saine estime de vous.

Comment créer plus de   douceur et de légèreté dans votre vie? Comment retrouver grâce à vos propres yeux ? En cessant de vous juger et de vous évaluer et en instaurant dans votre vie l’autocompassion.

Qu’est-ce que l’autocompassion ? C’est nous regarder avec bienveillance comme le ferait notre meilleur ami. Cet ami connaît nos faiblesses et nos imperfections et cela ne l’empêche pas d’éprouver à notre égard tendresse et affection. Lorsque nous éprouvons des difficultés, il se montre compréhensif et nous offre son soutien.

Kristin Neff, psychologue américaine et auteur de « S’aimer », a défini le concept d’autocompassion après avoir fait de nombreuses recherches à ce sujet. Selon elle, l’autocompassion  réunit trois attitudes fondamentales : se considérer avec bienveillance, reconnaître son humanité c’est-à-dire sa connexion avec ce que vivent tous les hommes et enfin pratiquer la pleine conscience.

La bienveillance à l’égard de soi-même

Nous sommes souvent si dur et si exigeant avec nous-même. Combien de fois nous rejetons-nous parce que nous ne répondons pas à nos propres attentes et ne nous montrons pas à la hauteur de nos idéaux ? Nous  avons tendance à juger  nos défaillances et nos imperfections avec sévérité et sommes prompts à nous condamner.

Nous pourrions tous citer un aspect de notre personne que nous n’aimons pas. Cela peut être une caractéristique physique qui ne nous plait pas ou encore un trait de personnalité. Nous nous trouvons trop gros ou pas assez. Nous voudrions être plus brillant, moins introverti, plus sûr de nous,…

Développer la bienveillance envers nous, c’est abandonner tous ces jugements, ces critiques à notre égard. C’est apprendre à nous accueillir tels que nous sommes du fond du cœur.

  • Cela nous demande d’abord de changer notre regard sur nous-même. « On ne voit bien qu’avec le cœur », disait le Petit Prince. Quand vous faites face à votre miroir le matin, comment réagissez-vous ? Vous trouvez que vos cheveux manquent de gonflant ? Vos formes sont plus généreuses  que vous ne le souhaiteriez ? L’effet de l’âge commence à se faire sentir ? Je vous propose d’entrer en amitié avec cette personne qui est là devant vous, de regarder chacun de ses traits avec beaucoup de douceur et d’affection comme vous le feriez pour une personne très chère. Peut-être même pourriez-vous lui adresser un grand sourire. Observez ensuite ce que vous ressentez et ce qui s’est modifié à l’intérieur de vous.
  • La gentillesse envers nous-même nous invite aussi à nous montrer plus tolérants envers nos lacunes et nos imperfections. Vous pestez devant votre manque de compétence dans tel ou tel domaine? Vous déplorez votre manque de courage ou de patience ? Vous vous arrachez les cheveux   face à l’éducation de vos enfants ? Là aussi, il s’agit de se montrer patient et compréhensif à votre égard.
  • Adopter une attitude bienveillante à notre égard implique également de modifier notre dialogue intérieur. Quel est votre discours envers vous-même ? Vous traitez-vous de nul, de débile ou de loser ? Parlez-vous de votre physique en termes peu amènes ? Comment votre voix résonne-t-elle dans votre tête ? Le ton est-il dur ou méprisant? Si oui, voyez comment vous pouvez vous parler avec plus de douceur en reformulant vos propos afin que ceux-ci deviennent plus amicaux et constructifs.

 La bienveillance envers nous-même ne se résume pas à faire taire  notre critique intérieur. Elle consiste aussi à  nous réconforter de façon active lorsque nous souffrons et à nous offrir  le soutien dont nous avons besoin. Il s’agit de développer  notre propre parent nourricier, c’est-à-dire celui qui prend soin de nous et qui nous aime quoi qu’il arrive.

Comment pouvez-vous prendre soin de vous lorsque vous vivez une difficulté ? Comment pouvez-vous vous apporter du réconfort ? Vous pouvez tout d’abord compatir à votre souffrance et vous témoigner chaleur et sympathie. Peut-être sera-t-il également utile de poser un acte spécifique pour vous sentir mieux : prendre du temps pour vous, vous octroyer quelque chose qui vous fasse plaisir, demander de l’aide à quelqu’un, effectuer une démarche concrète,… Il importe de bien cerner vos  besoins afin de vous apporter une aide efficace et bien ciblée.

L’humanité partagée

Il vous est déjà tous arrivé de vivre une situation pénible : vous vivotez dans un emploi inintéressant ou vous peinez pour en trouver un, votre petit(e) ami(e)  vous a plaqué, vos enfants ramènent de l’école des bulletins douteux ou vous ramez pour boucler vos fins de mois.

Comment vous sentez-vous dans ces moment-là ? Mal, n’est-ce pas ? Il y de fortes chances qu’en ces moments difficiles vous vous focalisiez sur vos amis et connaissances qui ont ce que vous vous n’avez pas. « Mais comment est-ce qu’elle  fait celle-là pour avoir des enfants bien élevés, sympathiques et qui, chaque année, passent comme des fleurs à l’école ? » Et vous ronchonnez en votre for intérieur : « je ne vois pourtant pas ce qu’elle  a (ou fait) de plus que moi ?! » Idem pour le copain qui semble vivre la plénitude dans ses relations  amoureuses ou le couple d’amis qui prend chaque année son billet d’avion vers le soleil alors que vous tentez de votre côté de vous convaincre des joies du « sweet home » pendant l’été…

Se pourrait-il alors que  vous déprimiez dans votre divan en pensant à toutes ces personnes qui vivent dans la joie et la bonne humeur et réussissent tellement mieux que vous ?! Vous vous sentez alors très seul avec l’impression que ça n’arrive qu’à vous.

La compassion envers vous-même vous demande de vous relier aux autres humains qui vivent eux aussi des difficultés. Non, vous n’êtes pas seul à douter, à avancer dans le brouillard, à tomber et à vous relever. Vous n’êtes pas  seul à rencontrer des obstacles, des freins intérieurs ou des évènements imprévus qui vous empêchent de réaliser vos rêves ou de déployer votre plein potentiel. Regardez autour de vous : difficultés économiques, couples en détresse, maladies, catastrophes naturelles, pertes de toutes sortes. Tous les humains font l’expérience de la douleur (même si l’intensité et le type de souffrance peut varier).

Quand vous vivez un coup dur, quand vous vous débattez avec un sentiment de honte ou d’impuissance, je vous invite à vous connecter en pensée aux autres personnes qui vivent des expériences similaires.

Cela vous permettra de ne plus vous sentir tout seul dans vos difficultés. Vous vous rappellerez que les autres personnes aussi peuvent être envahies par le doute ou le sentiment de ne pas être à la hauteur. Vous pourrez alors tout doucement accepter vos propres erreurs et imperfections et vous accueillir pleinement en tant qu’être humain en chemin.

La Pleine Conscience

La pleine conscience consiste à ramener volontairement son attention sur le moment présent et à examiner ce qui s’y présente sans jugement de valeur. Elle permet ainsi d’identifier les émotions et les pensées qui nous traversent instant après instant.

L’autocompassion implique de vouloir observer ce qui se passe à l’intérieur de nous avec un esprit de curiosité et d’ouverture. Elle nécessite de percevoir la douleur que nous éprouvons. Comment en effet pourrions-nous nous accorder de l’attention  si nous ne reconnaissons pas la souffrance qui est la nôtre?

Quand nous vivons des situations difficiles, nous avons souvent tendance à oublier de nous occuper de nous. Par exemple, si nous avons  un accident, notre  première réaction est de téléphoner à notre assureur et de régler tous les modalités pratiques concernant notre voiture. Nous sommes sous le choc et nous tremblons mais nous prenons rarement le temps de mesurer notre frayeur et de nous apporter le réconfort nécessaire.

Quand votre collègue vous lance une remarque désobligeante, quand vous faites une gaffe en société, quand vous hurlez sur votre progéniture parce que vous êtes  à bout de nerfs, je vous propose de vous arrêter un instant et de  prendre votre température émotionnelle. Qu’est-ce qui est touché en vous ? Peut-être  les propos de votre collègue réveillent-ils en vous un vieux sentiment d’incompétence ou d’injustice ? Votre remarque ou votre geste maladroit vous donne envie de rentrer six pieds sous terre ? Vous vous sentez malheureux de vous être énervé sur vos enfants sans raison valable ? Prenez le temps de ressentir l’inconfort, la honte, la culpabilité ou tout autre sentiment qui vous traverse et n’hésitez pas ensuite à vous offrir la compassion requise.

«  Ma pauvre chérie/ mon pauvre ’ti gars, voilà que tu te fâches tout(e) rouge sur des petits loups qui ne t’ont rien fait. Tu te sens mal maintenant. C’est si important pour toi de cultiver une bonne relation avec tes enfants et de leur montrer le bon exemple. Oui, je sais, tu as eu une journée de dingue aujourd’hui, tu as craqué. Allez, les parents ne sont pas toujours parfaits et ça nous arrive à tous de perdre notre calme. »

Eh oui, l’autocompassion reste de mise même lorsque nous avons commis une erreur ou que nous ne nous sommes pas montré à la hauteur de nos idéaux. C’est d’ailleurs souvent à ces moments-là que nous avons le plus besoin de prendre soin de nous.

La pleine conscience implique aussi d’avoir une attitude équilibrée face nos émotions, c’est-à-dire de ne pas vouloir les supprimer mais de ne pas non plus s’y noyer.

 Souvent, nous avons tendance à nier nos émotions douloureuses. Nous voulons nous montrer fort ou tentons d’étouffer ces  sentiments qui nous encombrent et dont nous ne savons  quoi faire. Le résultat est que les émotions réprimées ont tendance à ressortir avec encore plus de force et ce, parfois au moment le moins opportun.

Il se peut aussi que nous nous laissions complètement envahir par nos émotions négatives. Nous broyons du noir, nous ressassons notre peine et notre douleur ou nous nous laissons submerger par nos sentiments d’insuffisance.

La pleine conscience nous demande d’observer nos émotions et de les laisser suivre leur cours sans s’y attacher de façon excessive. Elle nous invite également à prendre un certain recul par rapport à celles-ci.

La vie nous apporte son lot d’évènements pénibles qui sont à l’origine d’une réelle douleur. Cependant, nous avons tendance, par notre attitude,  à rajouter de la souffrance à la douleur initiale. Imaginons par exemple que vous ayez perdu votre emploi suite à une restructuration. La douleur et les problèmes occasionnés par cette mise au chômage sont réels. Cependant, si suite à cela, vous sombrez dans le désespoir en estimant que vous n’avez plus aucune valeur et en vous coupant du monde, vous intensifiez, bien sûr, votre souffrance psychique.

Il est important de voir comment nous rendons la situation encore  plus pénible en luttant contre ce qui est, en nous condamnant, en nous dépréciant, en nous isolant ou en entretenant des regrets stériles. En prenant conscience de l’inefficacité et  de ces fonctionnements, nous pouvons arrêter de nous faire souffrir inutilement.

Conclusion

On comprend donc ici que l’autocompassion est  bien éloignée de l’apitoiement sur soi-même. En effet, elle demande  de donner la juste place à l’émotion douloureuse (ni trop ni trop peu) tout en se rappelant que bien d’autres personnes dans le monde sont aussi en souffrance.

Ce n’est pas non plus de l’égoïsme. Au contraire, en ouvrant notre cœur à notre propre souffrance, nous devenons également plus sensibles  à celle des autres.

L’autocompassion est un merveilleux moyen de gérer ses émotions. En accueillant nos émotions telles qu’elles sont sans chercher à les combattre, nous leur permettons de vivre leur vie puis de disparaître. Une émotion est par nature fluctuante : elle naît, s’intensifie, tremble, réapparait puis s’envole à nouveau.

Sans être pour autant une baguette magique, l’autocompassion est toujours à notre disposition pour adoucir notre quotidien. Celui-ci est souvent émaillé de différentes contrariétés ou frustrations : nous sommes fatigué, notre partenaire se montre distant ou préoccupé, nous sommes pris dans un embouteillage, nous vivons des tensions sur notre lieu de travail, nous subissons un échec …

Ce sont là de multiples occasions pour nous traiter avec bienveillance et nous offrir le réconfort nécessaire. Nous pouvons nous relier aux autres humains qui vivent des difficultés semblables. En prenant soin de nous avec amour et en cessant de nous condamner, nous pouvons enfin nous donner à nous-même, jour après jour et instant après instant, le soutien inconditionnel dont nous avons tant besoin. 

Pour aller plus loin

Livres :

« S’aimer. Comment se réconcilier avec soi-même. » de Kristin Neff
« L’autocompassion. Une méthode pour se libérer des pensées et des émotions qui nous font du mal » de Christopher K. Germer

Site internet

www.self-compassion.org (site sur l’autocompassion de K. Neff)